Manifestation du 9 janvier 2016 – l’edoniste.

ASTRIT DEHARI 1 Le 5 novembre 2016, Astrit Dehari, citoyen de la République du Kosovo, étudiant en médecine de 26 ans et activiste du Mouvement Autodétermination, est retrouvé mort dans sa cellule lors de sa détention provisoire à Prizren. Le directeur de la prison, incarné en médecin légiste déclare immédiatement qu’Astrit Dehari s’est suicidé suite à une overdose de médicaments. Alors qu’aucune autopsie n’est effectuée, c’est la thèse du suicide qui est tout de suite imposée aux médias. Par ailleurs, les deux codétenus ont affirmé que des policiers sont aussitôt venus les voir après la découverte du corps, pour leur recommander de ne pas se suicider comme leur ami. Le rapport d’autopsie est finalement publié le 21 novembre, celui-ci révèle que le détenu est mort d’asphyxie auto-infligée au moyen d’une bouteille en plastique introduite dans la gorge. Ce rapport est immédiatement remis en question par l’avocat de la famille et la société civile. En effet, une équipe d’enquêteurs indépendants, mandatée par la famille et ayant assisté à l’autopsie révèle que le corps du défunt montre des traces de blessures sur la tête et sur les bras. Ce qui semble être des signes d’autodéfenses, est expliqué par le procureur général comme étant des blessures causées lors du transport du corps à Prishtina. Les enquêteurs indépendants ont affirmé avoir eu des difficultés lors de leur investigation et mettent également en doute les méthodes de l’enquête officielle. En effet, ils dévoilent par exemple que les cheveux d’Astrit Dehari n’ont pas été rasés pendant l’autopsie afin de dissimuler les blessures sur la tête. Pour les enquêteurs indépendants, il ne s’agit pas d’un suicide, mais d’un meurtre causé par une asphyxie, faisant probablement suite à un interrogatoire violent ayant mal tourné. Cette expertise n’est pourtant pas prise en considération par le procureur général. L’enquête de l’institut de médecine légale du Kosovo persiste : c’est un suicide. Dans un pays où la corruption est la plus haute d’Europe et où toutes les institutions sont aux mains des membres des partis au pouvoir, la thèse du suicide semble difficile à croire. De plus, cet évènement intervient dans un contexte politique précis, qu’il est important de mettre ici en perspective.

Rappel des évènements

Au mois d’août 2015, le gouvernement du Kosovo signe des accords avec les dirigeants serbes afin de créer une association des communes serbes. Les partis de l’opposition, notamment le Mouvement Autodétermination, s’opposent fermement à la décision du gouvernement. Ils craignent une paralysie institutionnelle, à l’image de la Bosnie-Herzégovine. En outre, un autre accord prévoit une démarcation des frontières octroyant plus de 8’000 hectares au Monténégro. Ces accords sont soumis à des votations à l’Assemblée. Les séances sont cependant interrompues par les députés du Mouvement Autodétermination qui dégoupillent des grenades lacrymogènes dans l’hémicycle. Ceux-ci ne reconnaissent plus la légitimité du Parlement qu’ils considèrent comme obéissant aveuglement aux ordres de l’exécutif. Des soulèvements populaires sont organisés afin que ces deux projets n’aboutissent pas. Le 28 novembre 2015 (jour symbolique de l’indépendance de l’Albanie), une manifestation réunit plus de 35’000 personnes venues contester l’association des communes serbes. Après la manifestation, plus de mille policiers se rendent au siège du Mouvement Autodétermination. Sans mandat de perquisition, ils pénètrent violemment dans les lieux, saccageant le matériel et maltraitant physiquement plusieurs dizaines de militants. Suite à cette démonstration de force, plus de 90 activistes sont arrêtés, dont Albin Kurti, député et fondateur du Mouvement Autodétermination. Ce jour-là marque un tournant décisif pour le régime qui se profile ostensiblement comme autoritaire et qui ne cessera de s’en prendre à son ennemi numéro un : le Mouvement Autodétermination. Durant l’année 2016, d’autres manifestations massives parviennent à réunir à chaque fois de 70’000 à 100’000 personnes (Le Kosovo compte 1.8 millions d’habitants). Le gouvernement n’a plus de choix que d’abandonner ces accords, mais il décide de ne pas rester sur cette défaite. Le Mouvement gagne beaucoup de points dans les sondages et voit également une forte montée des adhésions. Ce dernier ne cesse, en effet, d’incriminer les abus perpétrés par le pouvoir. Le PDK, première force législative du pays, est mêlée à des affaires de corruption. Au début du mois d’Août 2016, le site web « Insajder » publie des enregistrements téléphoniques du chef du groupe parlementaire du PDK, dans lequel il nomme arbitrairement des personnes de son camp à des postes de direction dans les institutions de l’État. Puis, c’est à la même période, précisément la nuit du 4 Août 2016, qu’une explosion retentit sur l’immeuble de l’Assemblée. Selon le gouvernement, les coupables ne peuvent être que des activistes du Mouvement Autodétermination. Ainsi, le 30 Août 2016, six d’entre eux sont arrêtés : Atdhe Arifi, Adea Batusha, Egzon Haliti, Petrit Ademi, Frashër Krasniqi (porte-parole du Mouvement) et Astrit Dehari. Ils sont tous accusés de terrorisme et risquent chacun jusqu’à 10 ans de prison. Lors d’une visite de ses parents, deux jours avant son décès, Astrit Dehari leur déclare avoir subi des pressions de la police pour qu’il admette avoir lancé l’explosif sur l’ordre du Mouvement Autodétermination. Et c’est seulement, dans ce cas que les autorités pourraient consentir à sa libération. En effet, coller une étiquette de terroriste au principal parti de l’opposition, seul véritable mouvement de contestation du pays, faciliterait grandement la tâche du gouvernement lors des prochaines élections législatives prévues en 2018.

Le nouvel ennemi est Albanais

Le contexte d’oppression politique dans lequel Astrit Dehari a trouvé la mort éveille les anciens démons d’un Kosovo sous autorité serbe. L’ombre de ce régime planerait-il donc à nouveau sur le Kosovo ? Serait-il discrètement revenu ? N’est-il peut-être jamais parti ? Les Albanais du Kosovo sont marqués par une profonde identité politique, ils ne permettraient pas que leur pays prenne le même visage que celui contre lequel ils s’étaient battus. Mais voilà que dans un contexte de crise économique, politique et sociale, le pouvoir parvient progressivement à assoir son autorité tout en annihilant la conscience politique des Albanais. Alors qu’une minorité d’Albanais descendait dans la rue pour réclamer justice sur l’affaire Dehari, d’autres tentaient encore de mesurer la gravité de la situation. Certains minimisaient, voire annulaient complètement la responsabilité de l’État. Et lorsque l’on pensait avoir atteint le summum du grotesque, un journaliste d’une chaîne de télévision publique déclarait que la responsabilité devait être attribuée au Mouvement Autodétermination pour avoir, de par son activisme, conduit Astrit Dehari à la mort. Les Albanais semblent toujours croire que seule la Serbie possède le monopole du crime et de la violence. Les persécutions contre lesquelles le peuple Albanais avait fait face reprenaient vie, mais cette fois sous une autre forme, avec un nouveau visage contre lequel ils n’étaient pas habitués à lutter. Ce visage les pétrifiait sur place, comme s’ils avaient regardé Méduse dans les yeux et qu’ils avaient aperçu leur propre portrait.

Des théories faussement anti-conspirationnistes circulent au sein de la population albanaise telles que : « ce n’est pas une machination de l’État » ou encore « Astrit Dehari n’était pas important pour le gouvernement pour qu’il vaille la peine d’être éliminé ». En effet, le régime de Hashim Thaçi et Isa Mustafi ne souhaitait certainement pas la mort d’Astrit Dehari. Sa mort intervient dans un contexte d’arrestations successives des activistes de l’opposition. Et c’est précisément en s’en prenant à ces derniers, c’est-à-dire au cœur du Mouvement Autodétermination, que le gouvernement souhaite ébranler son principal opposant. Astrit Dehari est par conséquent une victime de cette volonté du gouvernement de nuire au Mouvement Autodétermination. Les raisons de son arrestation ne sont en effet que d’ordre politique, faisant de lui par définition un prisonnier politique. La mort d’Astrit Dehari n’est donc pas moins qu’un crime politique perpétré par un État criminel. En outre, si le suicide d’Astrit Dehari se révèle être vrai, cela constitue un chef d’accusation supplémentaire à l’encontre du gouvernement, et en aucun cas, il ne dispense pas le gouvernement de sa responsabilité. Astrit Dehari est mort en détention provisoire, dans un lieu qui est censé assurer la sécurité aux détenus. Les autorités du Kosovo ont échoué et personne n’a à ce jour endossé la responsabilité d’une telle défaillance. Astrit Dehari est mort en détention provisoire, dans un lieu qui est censé assurer la sécurité aux détenus. Mais là encore, les autorités du Kosovo ont échoué et personne n’a à ce jour endossé la responsabilité d’une telle défaillance.

Un crime apolitique (2/2)

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Voir les écrits de lumière de SHKODËR

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