L’actualité du Kosovo nous amène dernièrement à nous questionner sur la stabilité de sa démocratie mais également de la souveraineté de cette nouvelle république proclamée le 17 février 2008. L’élection à la présidence de l’ancien premier ministre et vice-premier ministre Hashim Thaçi, au mois de février 2016, met fortement en doute la légitimité du Parlement, élisant l’homme qui incarne l’instabilité et la division politique du Kosovo. De plus, les différentes persécutions à l’égard du premier parti de l’opposition ont conduit à la mort, en détention provisoire, d’un jeune activiste politique du Mouvement Autodétermination. Les différents évènements survenus depuis le 28 novembre 2015 montrent que le pouvoir se profile clairement comme étant un régime autoritaire. Cependant, la priorité pour les organisations internationales et le gouvernement du Kosovo demeure le rapprochement avec la Serbie. Pays qui ne reconnaît aujourd’hui toujours pas le Kosovo et fait notamment preuve de différentes tentatives d’ingérences. En effet, au mois de décembre 2016, un mur est construit à Mitrovica séparant la communauté serbe de la population albanaise. Puis, au début du mois de janvier, un train en provenance de la Serbie, portant l’inscription : « le Kosovo est serbe » en 26 langues, tentait de s’introduire au Kosovo dans le seul but de transporter des passagers selon les autorités de Belgrade. Dans cet article, nous avons décidé de nous intéresser à la démocratie au Kosovo afin de voir dans quelle mesure le système démocratique mis en place, après la guerre de 1999, agit sur la stabilité du pays et s’ils peuvent expliquer les évènements décrits plus hauts.
Pour constituer un gouvernement, le parti vainqueur doit former une coalition avec d’autres partis afin d’obtenir 50% des voix. Le PDK, vainqueur des élections depuis 2007 remporte à nouveau les élections de 2014. Seule la Liste Serbe, revendiquant le Kosovo comme étant toujours serbe accepte de faire coalition avec le PDK. Cependant, cela ne suffit pas pour établir un gouvernement. Quelques semaines plus tard, la LDK, l’opposant traditionnel du PDK, accepte de faire partie de la coalition. Nous pouvons affirmer que ces alliances relèvent de l’extraordinaire pour un État démocratique. Kuenzi et Lambright affirment que l’antagonisme entre partis devrait rendre difficile tout désir de coalition12. Dans le cas de la Liste Serbe, il ne s’agit pas seulement d’un antagonisme idéologique, mais l’idée de former un gouvernement avec un parti qui rend possible une ingérence institutionnelle de la Serbie. Il est ici important de préciser que la constitution serbe, ratifié en 2006, indique à plusieurs reprises que la Kosovo fait partie intégrante de la Serbie. L’article 114 formule même que lors de son investiture, le président serbe doit prêter serment en affirmant que le Kosovo est une partie constituante de la Serbie13. Quel consensus a donc été trouvé avec La Liste Serbe alors que ce parti ne reconnaît toujours pas le Kosovo comme étant indépendant ? Les aspirations de La Liste Serbe semblent claires : un retour des autorités de Belgrade au Kosovo. Mais qu’en est-il des ambitions de la classe dominante albanaise ? Une des réponses semble se trouver dans les données que fournit Transparency International : le Kosovo possède la note européenne la plus basse en matière de corruption. (Note : 36 – classé : 95/176)14
Les prémices d’une nouvelle démocratie
Le 10 juin 1999 marque la fin de la guerre du Kosovo. Elle provoqua la mort de 11’843 civils Albanais, mais aussi la déportation de plus d’un million d’Albanais du Kosovo regroupés sur les bordures frontalières des États voisins. Les Albanais peuvent finalement revenir sur leurs terres lorsque la guerre prend fin. La plupart se retrouvent à dormir dans des abris de fortunes, leurs maisons ayant été brulées ou détruites. Si les Albanais doivent se reconstruire une vie, il leur faut également construire un État indépendant de la Serbie pour que ne se reproduise plus les crimes auxquels ils ont fait face pendant la guerre. C’est tout d’abord aux institutions internationales de prendre en main cette province. La KFOR (Force du Kosovo) est installé par l’OTAN afin de garantir la sécurité de la région. Si la présence de cette dernière est fixé à une durée indéterminée, la MINUK (Mission d’administration Intérimaire des Nations Unies au Kosovo) doit assurer une mission administrative temporaire tant que le statut juridique du Kosovo demeure incertain. Des élections législatives sont organisées, permettant au Kosovo de posséder son propre Parlement et son gouvernement. Ces deux organes sont toutefois aux mains de la MINUK, jusqu’au jour où la question juridique du Kosovo sera résolue. En effet, la Serbie considère le Kosovo comme faisant toujours partie de son territoire, alors que pour les Albanais du Kosovo, il est inenvisageable d’être à nouveau sous la tutelle serbe. C’est finalement à l’ancien président finlandais Martti Ahtisaari, à qui revient le devoir d’assurer une médiation entre les deux camps et de trouver une solution au conflit. Après diverses négociations à Vienne entre 2006 et 2007, Albanais et Serbes ne parviennent pas à un compromis1. Martti Ahtisaari prévoit alors un plan ayant pour issue l’indépendance du Kosovo, tout en garantissant un État de droit et respectant les droits des minorités non-albanaises. Ce plan est rejeté par la Serbie et par la Russie, fidèle alliée de la Serbie, qui exerce son droit de véto au conseil de sécurité de l’ONU. Avec le soutien de la majeure partie des États européens, le Kosovo est contraint de proclamer unilatéralement son indépendance le 17 février 2008. À ce jour, 111 pays ont reconnu le Kosovo dont la majorité des États européens, ainsi que, à l’exception de la Serbie, tous les pays frontaliers du Kosovo. Aujourd’hui, l’opposition de la Russie empêche le Kosovo de jouir d’une souveraineté sur le plan international et d’être reconnu par diverses institutions mondiales2. En outre, d’autres difficultés que nous allons aborder plus bas, empêchent le Kosovo d’exercer pleinement sa démocratie.Le plan d’Ahtisaari
Le rejet du plan d’Ahtisaari par la Serbie peut sembler étonnant car celui-ci prévoyait une garantie et un respect des droits de la minorité serbe. Cette décision peut s’expliquer par le fait que la Serbie ne se préoccupe pas de la population serbe au Kosovo, mais uniquement de l’annexion territoriale de ce qu’elle considère être le berceau de leur nation. Nous pouvons également nous étonner des raisons pour lesquelles le plan Ahtisaari est adopté au Kosovo, alors que celui-ci ne possède plus aucune valeur juridique puisqu’il était censé être accepté par les deux camps. En réalité, celui-ci est appliqué feignant une reconnaissance du Kosovo par la Serbie. En effet, le plan prévoit la présence d’une autre mission des Nations Unies (EULEX) succédant à la MINUK, dont le but est de soutenir les hautes institutions du Kosovo mais aussi assurer un dialogue entre la Serbie et le Kosovo afin de normaliser les rapports en vue d’une future intégration dans l’union européenne3. Finalement, une effervescence populaire gagne le Kosovo le jour de son indépendance. Le nouveau drapeau est dévoilé, mais il inquiète déjà la population. Le nouvel emblème affiche six étoiles représentant les minorités nouvellement institutionnalisées. C’est donc un État kosovar multiethnique qui est proclamé, aux dépens des partisans de l’identité nationale albanaise pour le Kosovo. Il est en effet important de noter que la lutte politique des Albanais du Kosovo a été fortement ancrée dans une perspective d’union avec l’Albanie. Et c’est ce que montre toujours un sondage effectué en 2010 : Il révèle que 81% des Albanais du Kosovo sont favorables à une réunification avec l’Albanie, tandis que 63% des Albanais d’Albanie sont pour4. Mais voici que la constitution du Kosovo nouvellement établie sur la base du plan d’Ahtisaari, met un terme à toutes revendications réunificatrices. Voici ce qu’indique l’article 1 alinéa 3 de la constitution du Kosovo :« La République du Kosovo n’a aucune prétention territoriale à l’encontre d’aucun État ou d’une partie d’un État et ne revendique aucune union avec un État ou une partie d’un État5. »
Le système démocratique
L’indépendance du Kosovo fait rompre la mission de la MINUK. Les pouvoirs législatifs et exécutifs sont ainsi transférés aux autorités du Kosovo. En réalité, l’indépendance du Kosovo ne voit aucun changement majeur du système démocratique. Avec le plan Ahtisaari, c’est principalement la constitution qui vient ratifier le modèle démocratique préalablement mis en place par la MINUK. Voyons maintenant sur quel modèle se base le système démocratique du Kosovo. À l’exemple de la majorité des États européens, le Kosovo est doté d’un régime parlementaire. Sur la base d’un système électoral dit proportionnel, l’Assemblée, qui comprend une seule chambre, est élue tous les quatre ans lors des élections législatives. Selon les critères établis par Arend Lijphart, nous pouvons qualifier le système démocratique du Kosovo comme étant fondé sur un modèle de consensus6. Le modèle du Kosovo présente toutefois certaines particularités qu’il convient d’analyser. La représentation proportionnelle au Parlement est typiquement un des critères déterminant du modèle de consensus7. Au Kosovo, ce critère n’est pas totalement respecté. Pour les partis politique de la communauté albanaise du Kosovo qui représente 93% de la population, la répartition des sièges est proportionnelle. La constitution prévoit cependant une surreprésentation des communautés minoritaires au Parlement. Sur les 120 sièges que compte l’Assemblée, 20 sont destinés aux minorités. Parmi ces 20 sièges, 10 d’entre eux sont réservés à la communauté serbe qui représente 4% de la population totale et 10 pour les autres minorités (Roms, Ashkalis, Égyptiens, Turcs, Bosniaques et Gorans) qui représentent 3% de la population totale8. Aurait-il fallu opter pour un système majoritaire à l’exemple de l’Angleterre ou de l’Italie ? Le système majoritaire accorde plus de la moitié des sièges de l’Assemblée au vainqueur des élections même si celui-ci n’a obtenu par exemple que 25% des voix. Pour Lijphart, le système majoritaire est justifié par le fait qu’une société soit homogène. Aux vues de la répartition numériques des communautés au Kosovo, on peut raisonnablement affirmer que c’est le cas : 93% d’Albanais pour 4% de Serbes. Si la société kosovare est homogène dans les faits, elle est toutefois institutionnellement hétérogène. Cependant, selon le même auteur, le modèle de consensus peut être également efficace dans une société moins hétérogène9. Serait-ce alors le cas pour le Kosovo, si l’on admet que cette société n’est pas complètement homogène ? Une autre caractéristique du modèle de consensus est le fait qu’il s’applique davantage aux États fédéraux tels que la Suisse, la Belgique ou l’Union Européenne. Le Kosovo possède un pouvoir centralisé où ses différentes communautés sont pour la plupart dispersées géographiquement sur son territoire. Il demeure cependant trois communes au nord du Kosovo où la population serbe est majoritaire et dans lesquelles est recensée environ la moitié de sa population. Le Kosovo porte ainsi certaines caractéristiques démocratiques d’un système fédéral tout en n’en étant pas véritablement un. Nous pouvons aujourd’hui affirmer qu’il y a une forte tendance à vouloir décentraliser le pouvoir au Kosovo. En effet, depuis Août 2015, sous l’égide de l’Union Européenne, les autorités de Belgrade et de Prishtina ont tenté de créer une association des communes serbes. Ce projet a été finalement suspendu suite à diverses manifestations populaires. Nous devons encore aborder la question de la constitution, car avec le plan Ahtisaari, il s’agit de la principale réforme du système démocratique. Plus haut nous avons vu que les minorités étaient surreprésentées, mais elles possèdent également un droit de veto sur l’amendement de la constitution, ainsi que sur d’autres lois dites importantes, comme l’adoption d’une armée par exemple. En effet, afin de pouvoir modifier la constitution, il est nécessaire d’obtenir l’accord des deux tiers du Parlement, en incluant, l’approbation des deux tiers des communautés non-albanaises10. Ainsi, tout changement de la constitution serait rendu impossible si 7 députés de La Liste Serbe votaient contre. Une éventuelle union avec l’Albanie est donc irréalisable en vertu de l’article de la constitution que nous avons vu plus haut.Le paysage politique
Pour mettre en perspective les difficultés que rencontre cette démocratie, il est important de voir la façon dont le paysage politique du Kosovo a été constitué lors des dernières élections législatives en 2014. Pour cela, nous vous présentons le tableau ci-dessous11 :