Le Premier ministre Albin Kurti dévoilant sa politique de réciprocité dans le dialogue Kosovo-Serbie.
« Cest maintenant que commence l’ère où la Serbie devra shabituer au principe de réciprocité », déclare le Premier ministre kosovar Albin Kurti sur son profil Facebook.
Par : – Jehona Pnishi, étudiante en lobbying européen et représentation dintérêts. – Arnaud Boutin, étudiant en Licence LLCER Albanais et Relations Internationales.

Le mercredi 29 septembre marque le début d’apaisement du bras de fer politique dans la région du Nord du Kosovo. Plus précisément, ce sont les postes-frontières de Jarinjë/Jarinje et de Bërnjak/Brnjak qui ont été heurtés par les foudres de la mesure tonitruante adoptée par Pristina : la rigoureuse « réciprocité ». En effet, depuis plus de deux semaines, dimportants troubles politiques viennent ébranler cette région assez âprement instable. À lorigine de cette escalade de tension entre le Kosovo et son voisin serbe, la décision du gouvernement kosovar dobliger tout véhicule provenant de la Serbie de se munir de plaque dimmatriculation provisoire de la République du Kosovo, afin de pouvoir entrer sur le territoire national. Si cette décision a fortement fait réagir le gouvernement du Président Aleksandar Vučić, considérant cette mesure comme une provocation, le gouvernement dAlbin Kurti se défend en rappelant que cette même mesure est imposée aux ressortissants kosovars voulant entrer sur le territoire serbe depuis plus de dix ans.

Désormais, un accord sur les plaques d’immatriculation a été signé entre le représentant kosovar Besnik Bislimi et le directeur du « Bureau pour le Kosovo-et-Métochie » Petar Petković à Bruxelles, sous l’égide du représentant spécial de l’UE pour le dialogue entre Belgrade et Pristina, Miroslav Lajčák. Un acte salué avec soulagement par l’Union européenne, mais qualifié de douteux par les partis d’opposition de chaque pays respectif.

La teneur et les termes précis de cet accord font débat au sein de la politique kosovare : plusieurs dirigeants de partis politiques ont demandé la publication de ce texte. Le vice-Premier ministre kosovar, B. Bislimi a brièvement abordé la contexture de laccord signé le 29 septembre. Sur son profil Facebook, B. Bislimi déclare que les conducteurs, tant du côté kosovar que serbe, peuvent désormais circuler dans les deux pays, à condition de recouvrir les symboles du pays dorigine par un autocollant blanc du pays darrivée. La mesure quavait imposé le Premier ministre kosovar il y a quelques semaines consistait à obliger les voitures provenant de Serbie à se déplacer avec une plaque kosovare temporaire, comme exigeait la Serbie depuis des années pour les voitures kosovares voulant se rendre sur son territoire. Il déclare que la partie serbe est daccord sur ce premier point, mais quil ne peut sappliquer sur les plaques dimmatriculation portant l’inscription KM (désignation de l’État serbe pour la région du nord du Kosovo), sous prétexte que ces dernières devraient avoir un traitement spécial. B. Bislimi précise par ailleurs que cet accord est provisoire, en attendant l’élaboration dun traité stable et durable.

Sur le plan diplomatique, il est prévu par le présent accord que les barricades et les troupes armés serbes et kosovares quittent les lieux à partir du 2 octobre 2021. En revanche, il a été convenu que des effectifs de la KFOR soient présentes sur les lieux pour apaiser les tensions.

La réciprocité politique, mesure récente adoptée par l’État kosovar dans son jeu diplomatique

En droit international, le principe de réciprocité implique le droit à l’égalité et au respect mutuel entre les États. De ce fait, un État nest a priori pas tenu dengagement envers un autre, si ce dernier nen fait pas de même. Suivant cette logique, un État appliquant des mesures pour les ressortissant dun autre État ne pourra pas contester les agissements de ce dernier sil décide dappliquer la même mesure.

Depuis la fin de la guerre en 1999, le Kosovo est sous le tutorat et le protectorat international, et européen. Avec un objectif dintégration européenne, le pays reste aujourdhui surveillé de près par les acteurs de ces deux échelles de pouvoir. La Serbie, elle aussi, ambitionne à devenir pays membre de la grande famille européenne. Au vu de leur lourd passé conflictuel, lUE a imposé un accord définitif comme préalable à lintégration européenne des deux voisins. Dans les différentes négociations entre les deux États, le Kosovo occupe la place du bon élève qui suit les instructions des communautés internationale et européenne dans la prise de décision au cours des négociations. En revanche, la Serbie occupe la place de l’élève rebelle. Et pourtant, cest grâce à cette attitude que la Serbie a toujours réussi à obtenir ce quelle voulait au détriment du Kosovo.

Aujourd’hui le Kosovo semble avoir appris ses leçons. Sa politique semble se définir par l’intervention limitée des acteurs étrangers et la prise de décisions politiques vis-à-vis de son voisin serbe devient plus ferme avec la récente application du principe de réciprocité. Il a été pour la première fois imposé en 2018 par le gouvernement Haradinaj, à travers la taxation de 100% sur les produits serbes et bosniens entrant au Kosovo[1]. Une mesure qui avait fait fortement réagir la Serbie et avait beaucoup surpris la communauté internationale. La deuxième étape dans le principe de réciprocité est donc celle concernant les plaques d’immatriculation, mesure qualifiée par le gouvernement serbe d’une provocation grave par la République du Kosovo. Mais B. Bislimi, lors de son interview pour l’émission Interaktiv de KTV en date du 20 septembre[2], rappelle que « la mesure n’est pas contre les citoyens serbes, et n’a rien avoir avec des questions ethniques » mais signifie simplement que tout véhicule en provenance de la Serbie doit se munir de plaques d’immatriculation provisoires. Il rappelle également le contexte de cette mesure. En effet, cette mesure n’est pas une décision que le gouvernement kosovar aurait pris dans le but premier de provoquer ou de nuire à la Serbie, quand bien même, il serait en parfaite légitimité et légalité d’appliquer le principe de réciprocité tel que prévu par le droit international. B. Bislimi rappelle que cette décision intervient suite à l’expiration de l’accord existant jusqu’à présent. L’ancien accord datant de 2011, était un accord provisoire qui prévoyait qu’à terme les deux parties acceptent les plaques d’immatriculation de l’autre État simplement en cachant le symbole de l’État de provenance avec des autocollants blanc. Or, cet accord n’a jamais été respecté par la Serbie qui demandait malgré tout à chaque véhicule en provenance du Kosovo l’équipement avec des plaques d’immatriculation provisoires. Expirant le 15 septembre 2021, cet ancien accord a été remplacé par cette mesure de réciprocité en question, mesure en soit déjà prévue dans ce dernier, en attendant la négociation d’un nouvel accord. Ainsi, qualifier les agissements du gouvernement kosovar comme étant des actes provocateurs parait démesurément réducteur. La provocation reviendrait plus au côté du gouvernement serbe qui a décidé d’envoyer des troupes armées survoler la zone douanière, et qui a instrumentalisé les Serbes vivant dans le Nord du Kosovo où des émeutes et manifestations ont eu lieu avec des barricades. Vers une émancipation du Kosovo vis-à-vis de lUE ou la simple réaffirmation de sa souveraineté ?

Sur cette nouvelle mesure de réciprocité, l’Ambassadeur des États-Unis à Pristina, Philip Kosnett, et Peter Stano, porte-parole de lUE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, nont pas manqué de réaction en appelant les parties à garder leur sang-froid et à rapidement trouver un accord, en paix.

Aujourd’hui le Kosovo et la Serbie ont trouvé un accord provisoire sur la question des plaques d’immatriculation.

« Nous avons un accord ! Après deux jours d’intenses négociations, un accord sur la désescalade et la voie à suivre vient d’être trouvé. Je remercie Besnik Bislimi et Petar Petković pour leur disponibilité à négocier et à s’entendre pour le bien du peuple », a déclaré Miroslav Lajčák.

Cet accord peut être examiné dans trois dimensions. Au niveau des citoyens, cet accord est dans un premier temps un soulagement pour les pays dans leurs relations diplomatiques et politiques, et l’ensemble des populations. Il peut également être vu comme une affirmation du Kosovo dans sa stratégie diplomatique régionale, qui a décidé de marquer un tournant décisionnel en agissant en toute autonomie et comme un État pleinement souverain.

Enfin, pour les plus sceptiques, comme un bon nombre des partis dopposition, cet accord est une victoire déguisée du Kosovo dans ces négociations. En effet, laccord obtenu, qualifié par ailleurs comme « accord de stickers », est un retour en arrière pour l’État du Kosovo et ne relève pas spécialement dune progression ou dune affirmation du Kosovo dans la scène diplomatique puisque la mesure d’autocollants obtenue est une mesure qui date de laccord de 2011.

Quoi quil en soit, il convient de noter que, malgré la présence jugée souvent passive de lUE au Kosovo ou en Serbie, sa médiation reste encore nécessaire, voire obligatoire pour éviter tout débordement de la situation entre les deux voisins. Ce jeu du chat et de la souris semble perdurer pour toujours. Dans leur perspective d’aspiration à l’intégration européenne, il est nécessaire que ce jeu prenne fin via un terrain d’entente entre les deux parties, ainsi que par leur reconnaissance mutuelle.

Références :
[1] Radio Evropa e lirë : Kosova rrit taksën doganore për Serbinë dhe Bosnjën në 100 për qind, 2018.
[2] KTV – Kohavision : Arrihet draft-marrëveshje në Bruksel për targat, 2021.
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