Sortez les mouchoirs, nous allons pleurer ! Cette chronique sera un éloge de la mélancolie. Je suis plutôt quelqu’un de mélancolique, j’aime me complaindre et maudire la terre entière. J’essaie de conjurer le sort que celle-ci m’a réservé devant un verre de whisky, tout en écoutant l’ivrogne de Jacques Brel. Ô comme je me sens exister bon Dieu ! Victor Hugo écrivait que la mélancolie c’est le bonheur d’être triste. (Merci Évène). Je crois qu’en effet ceci décrit l’essence même du mélancolique, son style de vie. Le bonheur d’être triste pour un mélancolique c’est d’être dans l’attente du bonheur. Le mélancolique n’apprécie pas le bonheur en soi, mais l’idée du bonheur qu’il conçoit et espère ressentir en étant triste. Il préfère la morosité à la gaieté. Et lorsqu’il accepte enfin de profiter d’instants heureux, il va contenir sa joie afin de ne pas se laisser emporter par l’euphorie. La joie est toujours trop éphémère et le mélancolique ne doit pas s’habituer au bonheur, mais se préparer aux instants tristes qui vont le suivre. Comme ces enfants l’été, qui après une semaine de vacances, pensent déjà à la rentrée scolaire. On peut reconnaître un mélancolique à son aspect physique. Si parfois ses cheveux sont longs, ils sont surtout gras. S’il porte des chemises, celles-ci sont généralement sales et froissées. Et s’il est parfois vêtu comme un dandy c’est parce qu’il est en train de jouir d’un bref plaisir vestimentaire. La tenue préférée du mélancolique est le pyjama, car il lui rappelle sa passivité, son inertie. Et c’est dans son lit, qu’il confond parfois avec un cercueil, qu’il profite de ces moments de léthargie qu’il affectionne tant. La vie sociale du mélancolique est désastreuse, car il répand sa mélancolie aussi vite qu’une maladie contagieuse. Et s’il a tout de même des amis, il fait semblant de s’intéresser à leurs banals sujets de conversations pour continuer d’exister dans son entourage social. Le mélancolique possède le don de savoir se napper de mystère. Qu’est-ce qu’il se cache derrière cet écorché-vif ? Il y a tellement de souffrance dans ses yeux vifs et pétillants ! Que nous cache-t-il ? Quel est son secret ? En réalité, le seul mystère que dissimule le mélancolique c’est le fait que c’est encore sa mère qui repasse ses vêtements. Le mélancolique est arrogant et prétentieux, il se croit intouchable, car il se sait déjà mort. Il feint la souffrance, car il pense connaître la mort. Pour lui, le verbe souffrir est un euphémisme du verbe mourir. Il voit la mort partout, dans tout. Dans la naissance d’un enfant, il n’y voit que sa future et inévitable mort. La vie est un compte à rebours, une condamnation à mort. Les êtres humains ne sont que de sinistres squelettes dansant. Le mélancolique est aussi désinvolte et fataliste. Dust in the wind, all we are is dust in the wind. Et c’est parce qu’il sait qu’il n’est que poussière, qu’il aime contempler tout ce qui vit plus longtemps que lui. C’est en contemplant les montagnes, les vallées, les vieilles cités et surtout la voûte étoilée qu’il savoure sa courte existence. Ce n’est que face à l‘éternel, qu’il sent la vie parcourir son être. Car à l’échelle de l’immensité de l’univers, l’instant triste qui va suivre est irrémédiablement celui dont le mélancolique craint le plus : la mort.
La nuit
C’est en Albanie que j’ai appris ce qu’était la nuit. La véritable nuit noire. Pas une lumière, pas un lampadaire, pas un phare de voiture, et d’autant plus en hiver où la nuit s’empare et tue progressivement le jour à 16h lors du solstice d’hiver. On ne saurait distinguer une silhouette, mais une seule et unique ombre, celle qui plonge un pays entier dans la nuit et le silence le plus total. J’étais comme plongé deux-cent ans plus tôt, à une époque où l’électricité n’existait pas encore, je me baladais la nuit, le bras tendu au bout duquel je tenais une vielle lampe à gaz pour éclairer mes pas. Lorsque les coupures de courant intervenaient soudainement, je m’étonnais toujours de la promptitude avec laquelle les Albanais dégainaient leurs briquets, alors que je comprenais à peine ce qu’il s’était passé. L’Albanais éclaire plus vite que son ombre. En un rien de temps plusieurs bougies avaient été allumées, et je restais là stupéfait à les regarder se mouvoir dans l’obscurité. J’appréciais davantage ces moments, ma famille n’avait enfin plus les yeux rivés sur le téléviseur. Les voix se distinguaient plus clairement. On ne saurait réellement apprécier la voix de quelqu’un que dans le silence le plus complet. Nous nous regardions dans les yeux et nous nous entendions enfin. Puis, nous jouions aux cartes. Enfants, parents, tous participaient. Et même si mes cousins trichaient la plupart du temps, nous nous amusions et riions allégrement. La nuit m’a aussi offert un des plus beaux spectacles qu’il m’a été donné de voir : le ciel étoilé. C’est en Albanie que j’ai appris à observer et reconnaître les étoiles. Cela me semblait évident, seules dans ces contrées les Grecs avaient pu nommer les étoiles. Je retrouvais ainsi mes héros de la mythologie. C’est la belle Vénus qui ouvre la valse du ciel, nommée aussi étoile du Berger, elle est la première que l’on voit dans la naissante nuit. Plus tard, Castor et Pollux de la constellation des Gémeaux font leur apparition. Puis, la plus brillante, le chien d’Orion : Sirius, pointe son museau. Et encore d’autres, et d’autres, et d’autres… à n’en plus finir. Au mois d’Août, l’atmosphère terrestre rencontre les Perséides, c’est-à-dire les débris de la comète Swift-Tuttle. C’est lors de cette période estivale que j’ai eu la chance d’observer la plus belle des étoiles filantes, immense et d’une blancheur éclatante, elle avait traversé le ciel de part en part. C’est étrange qu’il faille que la nuit soit la plus obscure pour qu’on puisse y distinguer les étoiles. La terre et les étoiles ! Que me faut-il de plus ? Une vie plus simple à observer les étoiles, cultiver la terre et penser ; apprendre de nouvelles choses, mais surtout avoir le temps d’apprendre. Dans les Misérables, Victor Hugo, encore lui, y résume parfaitement ma pensée :
« Un petit jardin pour se promener, et l’immensité pour rêver. À ses pieds ce qu’on peut cultiver et cueillir ; sur sa tête ce qu’on peut étudier et méditer ; quelques fleurs sur la terre et toutes les étoiles dans le ciel. »
Mea Culpa Oupa
Cette chronique a pris une tournure absolument différente de celle escomptée à l’origine. Le sujet que je voulais aborder n’est d’ailleurs pas sans lien avec la mélancolie et la nuit qui devait me servir d’introduction. Cela tombe bien finalement, car ce chapitre est la seule, où je ne suis pas critique envers les Albanais. En lisant mes dernières chroniques, je me suis trouvé souvent très dur avec eux. J’ai parfois l’impression d’agir comme un impérialiste, sachant mieux penser qu’eux, mieux travailler et mieux agir. Cependant, depuis mon arrivé ici, beaucoup de choses me révoltent. La banalisation générale de l’injustice est certainement celle que j’arrive à supporter le moins. « C’est comme cela que ça fonctionne ici » me dit-on ! Ou encore « les Albanais sont ainsi, rien ne pourra les faire changer. » (Et voilà que je recommence). Je suis conscient que le peuple Albanais souffre de pauvreté, mais d’autres maux plus graves les empêchent d’aller vers l’avant. Je crois qu’il en est de même dans les autres pays balkaniques. S’il y a une empreinte yougoslave, j’ai constaté qu’une marque au fer rouge brûlait encore le corps balkanique, je veux parler de celui de l’Empire ottoman. Et ceci indépendamment du culte religieux auquel appartiennent ces peuples, il y a véritablement quelque chose qui unit et par conséquent divise, ces pays qui furent sous la domination des héritiers des Seldjoukides. Aux confins de l’Occident, la Slovénie et la Croatie ont partiellement échappé à cette emprise et c’est pourquoi aujourd’hui ces deux États sont plus proches d’une idéologie ou disons plutôt d’un esprit plus occidental. Ceci n’est qu’une hypothèse de ma part, mais j’ai la forte impression que sous l’autorité de la Sublime Porte, les peuples balkaniques se sont repliés sur eux-mêmes, se sont ancrés davantage dans leurs traditions médiévales, mais aussi dans le christianisme qui, face à la menace musulmane s’est trouvé une occasion pour répandre sa foi et accroître son pouvoir. Je pense que les pays balkaniques doivent dorénavant former de nouvelles identités politiques et se débarrasser de leurs anciens démons. Il me semble que le Kosovo est sur la bonne voie, il y a en tout cas un espoir, car le Mouvement pour l’Autodétermination (Lëvizja VETËVENDOSJE) souhaite créer une nouvelle ère politique qui à long terme servira d’exemple aux États voisins et élèvera ainsi le niveau politique dans toute la péninsule. Je suis optimiste n’est-ce pas ? Quoiqu’il en soit, je partage avec les membres de cette organisation l’idée d’un renouveau qui doit naître au sein même de la population albanaise. Pour cela les Albanais doivent pouvoir se remettre en question, comprendre qu’ils sont tout aussi responsables que les autorités qui les gouvernent. C’est pourquoi je continuerai à être critique envers la population albanaise sans toutefois, je l’espère, la stigmatiser. Je souhaite également connaître davantage le peuple Albanais, parcourir ses entrailles, y découvrir tous ses mystères. Les Albanais ne sont pas différents des autres peuples européens, seules les circonstances ont fait d’eux ce qu’ils sont aujourd’hui. C’est un peuple orphelin, isolé et sans repères ; qui a accepté contre son gré de subir des injustices ; qui s’est attaché à ses traditions, faute de ne pouvoir s’attacher à autre chose. Ces chroniques me servent aussi de défouloir, car depuis mon arrivé ici, les Albanais me font vraiment voir de toutes les couleurs. Je me questionnais dans le premier chapitre sur l’amour que l’on pouvait ressentir pour un pays. Aujourd’hui je suis encore incapable de vous fournir une réelle explication sur les motivations qui m’ont amené à m’investir autant pour ce pays. Ce dont je suis certain, c’est que je suis tombé amoureux de son histoire, de sa langue, de sa littérature et de certains aspects de sa culture. Et j’espère voir un jour ce pays vivre des jours plus paisibles. Je suis un idéaliste, il est vrai, un rêveur mais comme disait l’homme aux longs cheveux lisses et aux lunettes rondes :
“You may say I’m a dreamer, but I’m not the only one.”
Je hais ces tirades terriblement niaises parlant d’amour et d’idéal, tel les discours pâteux des films américains moyens où tous se lèvent dans un faux suspens pour y applaudir le héros. Je souhaitais toutefois fournir une explication pour vous faire croire que je suis humain et donc pourvu d’une âme pleine de compassion, d’amour, de générosité et mon cul sur la commode. Les valves de la satire sont à nouveaux ouvertes, alors continuons et passons à quelque chose de plus sérieux bon sang !
Chapitre 8 : Le suicide collectif
29005 Chapitre 8 : Le suicide collectif CHAPITRE 8 Vélo triste à Amsterdam — 2015 — l’edoniste. « Il aurait pu trouver mieux » (Ka mujt me gjetë ma mirë). Cette phrase résonnait dans toutes les bouches des membres de ma famille lorsqu’on venait d’apprendre les...
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