« Je suis athée, Dieu Merci. » Marc-Gilbert Sauvageon.
« Dieu a de beaux saints. » Ylipe.
« Dieu a dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » D’abord, Dieu ou pas, j’ai horreur qu’on me tutoie… » Pierre Desproges.
« La religion de l’Albanais est l’Albanité1. » Pashko Vasa.
« La cathédrale orthodoxe de Korçe. » — 2016 — l’edoniste.
Lorsque les questions religieuses se glissent dans une conversation, je me définis généralement comme agnostique. Cependant, si mon interlocuteur, en Suisse, est partisan de l’Union Démocratique du Centre, je préfère me présenter à lui comme étant de croyance islamique. Cela jette souvent un froid brévinois (restons suisse) et je me délecte davantage du spectacle grotesque que constituent ses explications politiques, usant de détours parfois subtiles afin d’éviter de révéler son racisme latent. En Albanie, j’agis presque de la même manière. Voici donc, l’occasion de vous parler de ce sujet absolument inévitable dans ces contrées : Dieu.
Les défenseurs de l’Albanité
La plupart des Albanais que je côtoie ici sont musulmans et il m’est arrivé parfois d’entendre des absurdités à propos des chrétiens. Dans ces moments, j’aime leur dire que les Albanais chrétiens sont plus albanais que les Albanais musulmans, car les premiers n’ont pas changé de religion pour se soumettre à l’empire ottoman. Je vous l’accorde cet argument est fallacieux, raccourci et dépourvu de sens profond, mais il possède la qualité de vigoureusement emmerder mes détracteurs et cela vaut la peine de sacrifier tout argument construit et recevable au monde. Les critiques qu’essuient ici les chrétiens sont pour la plupart liés au patriotisme, on leur reproche leur assimilation aux Slaves notamment en Macédoine et aux Grecs au sud de l’Albanie. Les musulmans seraient ainsi, selon eux, les grands défenseurs de l’Albanité. Sans l’islam, la langue albanaise et les Albanais auraient disparus. Cet argument est à mon avis, aussi invraisemblable que le mien tout précédemment. Je ne suis pas un spécialiste de l’histoire religieuse albanaise, mais je suis convaincu, que l’absence jusqu’en 1908, d’une église autocéphale n’a pas joué en la faveur des Albanais qui se sont progressivement convertis à l’islam pendant la domination ottomane2. Ce terrain marécageux réacquiert cependant de circonspectes études, et ne peut ainsi laisser place à de quelconques appréciations et préjugés.
Cloué
Lorsque l’on tente de me convaincre du bienfait de l’islam en Albanie, je me rappelle toujours d’une rencontre à Genève, il y a un peu plus de deux ans. J’avais fait la connaissance de deux Albanais originaire de la ville de Shkup. Leur tenue vestimentaire indiquait assez facilement qu’ils n’étaient pas du genre à rater une prière journalière. Ils m’avaient demandé comment je trouvais la ville. Le vieux bazar possède un charme fou, leur disais-je, mais le reste de la ville a été gâché par la construction de statues de personnages grecs de l’antiquité tels qu’Alexandre le Grand et Phillippe II, usurpant ainsi l’histoire de la Grèce, mais aussi de l’Albanie. L’un d’eux m’interrompait, je me souviens précisément de ses paroles : Mais tout ça c’était avant le prophète Mahomet ? Je faisais oui de la tête, puis il ajoutait : « Mais alors ce n’est pas important ! » J’étais cloué, comme Jésus, aurais-je voulu lui dire, mais comme ce dernier est aussi antérieur à Mahomet cela n’aurait eu aucune importance pour ce défenseur de l’Albanité.
Tabou
La religion est un thème qui revient sans cesse ici. Toutefois, la pluralité des religions albanaises n’a pas une importance particulière aux yeux des Albanais. La tolérance religieuse albanaise est une chose dont je suis assez fier et lorsque j’aperçois un cloché érigé à côté d’un minaret, il m’est difficile de ne pas penser à l’initiative populaire, approuvée en 2009, contre la construction des minarets en Suisse. Mais finalement lorsque je réfléchis à cette tolérance religieuse albanaise, je crois qu’elle existe uniquement à travers l’idée de Dieu. Le fait de croire simplement en Dieu met ici tout le monde d’accord. Les religions en soi sont méconnues, comment peut-on être intolérant envers quelque chose qu’on ne connait pas ? Comment peut-on être intolérant envers quelqu’un qui comme soi-même croit aussi en Dieu ? En réalité, les Albanais ne sont pas tolérants envers les croyances des autres, car s’ils l’étaient vraiment, ils le seraient tout autant à l’égard des athées. Toutes réflexions pouvant mettre en doute l’existence de Dieu est ici inconcevable. Ceci possède le don d’exacerber en moi mon athéisme.
En venant ici, j’ai adhéré au Mouvement pour l’Autodétermination (Lëvizja Vetëvendosje). Je me suis fait plusieurs amis, parmi eux, un athée et une agnostique. Cet ami athée s’est trouvé être originaire du village de ma mère, où il milite pour le Mouvement. Un jour, un de mes cousins qui croit en Dieu, cet ami athée et moi-même prenions un verre dans le bistrot du village. Ce soir-là, le local se trouvait être bondé de monde. Pour je ne sais quelle raison, nous nous sommes mis à parler de Dieu. Puis, lorsque j’ai évoqué l’athéisme, mon cousin et l’ami du Mouvement m’ont fait comprendre que je devais me taire. Agacé, je continuais de plus belle en élevant la voix. Les deux s’agitaient sur leurs chaises faisant des gestes avec leurs mains afin que je baisse le ton. « Ne parle pas de ça ici ! » Chuchotaient-ils. « Est-ce si dramatique que ça d’être athée ici ? » leur rétorquais-je. Je ne m’apprêtais ni à envahir la Pologne, ni à monter un attentat terroriste, je donnais seulement mon avis. L’ami du Mouvement partageait mon opinion, mais il ne pouvait crier sur tous les toits qu’il était athée. Grâce à ses convictions politiques, il était parvenu à attirer des habitants du village dans le Mouvement. Révéler ouvertement son athéisme signifiait la perte de toute crédibilité envers tous ceux qu’il avait convaincus et mais aussi le respect de tout le village en entier. Je comprenais son avis, tout autant que je regrettais que la société albanaise l’oblige à cette conformité. Pour ma part, je me moque de la crédibilité que m’accordent les villageois. Je criais alors d’autant plus fort : « Je n’en ai rien à foutre que vous soyez croyants ! Dieu n’existe pas ! » Si en Suisse, je suis un musulman confirmé, en Albanie je préfère être un athée fondamentaliste. Je crois que maintenant, il est utile de vous fournir des explications sur mon parcours religieux. Je raffole à l’idée de vous parler de ma vie, vous le savez déjà.
« Mosquée Hadumi à Gjakovë. » — 2013 — l’edoniste.
Il était une fois un musulman
Je suis né musulman. Ce qui ne signifie pas que je suis arrivé au monde avec un chapelet à 99 perles entre les mains et une chachia sur la tête. Mes parents, des déistes qui s’ignorent, me disait seulement que je ne devais pas manger du cochon à l’école. Je ne savais pas encore que j’étais musulman, mais j’appliquais manu militari cet ordre. Cela a eu une influence considérable dans mon rapport avec l’animal, je n’ai par exemple jamais eu le courage de voir le film Babe, le cochon. Cette bête m’inspirait un profond dégout et je ne comprenais pas les enfants qui lui exprimaient de la tendresse. De plus, la vision d’une tirelire me répugnait, et je crois que cela arrangeait bien mes parents que je n’en réclamasse pas. Pourtant, le pire c’était le jour où un camarade de classe m’a demandé quels étaient les cadeaux que j’avais reçu pour Noël. Je saisissais l’entourloupe, on ne m’avait rien offert du tout, mes parents m’avaient arnaqué ! Je devais savoir pourquoi ! Je fonçai sur eux, prêt à entamer le plus ignoble des interrogatoires, je ne leur proposai pas d’avocats, ils ne le méritaient pas. Je posai mon buste sur la table, approchant mon visage à deux centimètres du leur, usant de cette manière toute la pression psychologique que le poids de mon corps pouvait m’offrir. Assis sur ma chaise, j’étais prêt à bondir, mes collègues policiers m’observaient derrière le miroir semi-réfléchissant, admiratifs mais effrayés par la probabilité d’un dénouement d’une extrême violence, ils étaient prêts à entrer en scène pour empêcher tout débordement. Et moi devant les coupables certains, le visage lugubre et le ton sévère, je questionnais, en orientant fermement mon index dans leur direction avec un léger mouvement de haut en bas : Pourquoi ? La réponse tomba : « Tu es musulman fils ! » Musulman ? Mais c’est trop cool ! Je venais d’apprendre l’existence de ma religion. J’étais différent ! Plus tard, j’apprenais l’existence de Dieu, c’était formidable toutes ces connaissances ! Tout allait bien, jusqu’au jour où mon père est venu solennellement me révéler quelque chose d’important. Dieu en voulait à mon pénis. Heureusement, il ne le voulait pas entièrement, mais juste un bout apparemment inutile. J’étais effrayé, car je tenais à mon zizi et j’imagine que si j’avais su plus tard qu’il me servirait à autre chose que d’uriner, je n’aurais jamais accepté cette offrande épidermique. Qu’est-il advenu de mon prépuce ? Avouez que cela ferait un très joli titre pour une œuvre philosophique ? Penseriez-vous qu’en lisant cette chronique, j’allais évoquer mon organe génital ? Pourtant c’était clair depuis le début, si vous n’aviez pas saisi, relisez le titre de la chronique vous comprendrez mieux. 😉
Après cela évidemment, je pensais en avoir assez donné au Dieu Tout-Puissant. Du reste, j’avais plutôt perdu confiance en lui, rien ne serait plus comme avant. À l’adolescence, j’ai remis en question son existence, j’ai tué Dieu dans ma pensée et je constatai que cela ne changeait absolument à ma vie et ni à celle de ma famille, je devenais athée. Plus tard encore, à un âge où on se heurte aux interrogations métaphysiques et lorsque ma pensée commençait à se structurer je regrettais presque ce théocide. S’interroger sur Dieu c’est se questionner sur l’existence, et je ne voulais pas annihiler ma spiritualité. Dieu tel le phénix revenait peu à peu de ses cendres. Le reproche que je fais aux athées, peut-être à tort, c’est de rejeter tout concept métaphysique de Dieu. Par ailleurs, Pierre Dac, un écrivain et comédien français disait : « Être athée c’est croire qu’on ne croit pas. » Je refusais ainsi toute croyance infondée, je devenais agnostique. En effet, aujourd’hui, nous ne possédons pas la preuve indubitable de son inexistence, l’affirmer serait donc scientifiquement une erreur. Être agnostique, c’est appliquer la théorie du doute méthodique de Descartes, même si ce dernier est un mauvais exemple, car il était un fervent croyant de Dieu. Le doute méthodique consiste à ne rien croire tant qu’on ne peut le concevoir clairement et distinctement. Je dois avouer qu’il m’est difficile d’être agnostique, être constamment habité par le doute n’est pas une tâche facile. À ce jour, si je devais me définir plus précisément, je dirais que je suis un agnostique-athée. C’est-à-dire que je pense que Dieu n’existe pas mais je n’en suis pas certain.
Concernant les athées, je crois qu’il y a parfois un amalgame entre leur athéisme en soi et la négation du Dieu sur lesquels se fondent les religions monothéistes. Comme les athées, je refuse ce Dieu moral issu du monothéisme. Et en effet, en Albanie, je me rends compte que Dieu est uniquement moral. Les bons actes des êtres humains seront récompensés dans l’au-delà et quant aux mauvais actes, ils seront punis dans ce monde mais également dans l’autre. Lorsque quelqu’un souffre d’une maladie ou un malheur tombe sur la famille de quelqu’un et qu’accessoirement celui-ci n’est pas apprécié, j’entends souvent : « Ja ka çu Zoti. » (« C’est Dieu qui le lui a envoyé. ») Ou encore : « p’e paguan. » (Il paie) de ses mauvais actes. En Albanie, je suis athée parce que je veux leur montrer que l’on peut mettre en doute l’existence de Dieu et surtout que le sort que ce prétendu Dieu nous réserve n’a rien à voir avec les actions que nous entreprenons.
J’ai récemment assisté à une conférence d’un philosophe albanais du nom d’Elvis Hoxha. Vers la fin, il nous dit apprécier le concept de Dieu sur le plan de la transcendance. J’ai trouvé cette idée intéressante, car je pense que nous vivons une période de crise spirituelle. Je crois que l’idée de Dieu permettait d’autoréguler la société, sur de mauvaises bases il est vrai, tel que la peur du châtiment et la crainte d’une punition éternelle dans l’autre monde3. Si nous avons tué Dieu, nous ne l’avons pas remplacé, encore fut-il nécessaire de le remplacer, comme nous le rappelle Mikhaïl Bakounine : « Si Dieu existait réellement, il serait nécessaire de le supprimer. »
« La cathédrale orthodoxe de Korçe. » — 2016 — l’edoniste.
Le nouvel humoriste albanais
Je ne pensais pas que « Dieu m’habite » allait être un si long texte. Et pourtant je ne peux m’empêcher de vous raconter deux petites anecdotes. Voici la première : je surpris un jour mes grands-parents en train d’écouter à la télévision l’imam Shefqet Krasniqi. Je connaissais ce dernier que très vaguement, je saisi alors l’occasion de l’écouter. Il répondait à des questions que des internautes lui posaient du genre : « doit-on voiler sa femme ? Ou une femme peut-elle porter des pantalons ? » Les réponses à double sens étaient mémorables. Il est inutile de vous décrire ses réponses vides de sens et de références, mais un moment j’ai laissé échapper un rire, puis je ne pouvais plus me retenir, j’éclatais de rire sous le regard ébahis de mes grands-parents. Depuis, j’ai monté une petite blague que je raconte ici à mes amis. J’ai découvert un nouvel et excellent humoriste albanais à la télévision leur, dis-je. Qui est-il ? me demande-t-on. Je ne sais plus, mais chaque phrase qui sortait de sa bouche me faisait tordre de rire. Ah oui ! Shefqet Krasniqi leur disais-je finalement. Cela faisait mouche à chaque fois. Plus sérieusement, on m’a proposé d’assister aux enseignements d’un imam à Prizren. Je regrette de ne pas encore y être allé, car j’aurais bien voulu savoir ce que transmettent les imams, puis de quelle manière ils s’y prennent.
La seconde anecdote : nous allions à la montagne en voiture avec trois de mes cousins. Chemin faisant, j’aperçois une petite maisonnette. Regardez, disais-je, on dirait des toilettes publiques. Mes trois cousins offusqués me corrigeaient immédiatement : « Mais qu’est-ce que tu racontes ! C’est un tekke ! » Aussi appelés Khanqah, les tekkes sont de lieux de cultes pour les musulmans soufis. À ce moment-là, ce n’était pas un blague que je faisais, je pensais réellement qu’il s’agissait de toilettes publiques. Mais ma réponse ne se fit pas attendre. Les mosquées, les tekkes, les églises, les synagogues et les toilettes, c’est du pareil au même. Savez-vous pourquoi ? Leur demandais-je.Sepse aty krejt shkojnë për mi hek të kqiat. (Parce qu’ils vont tous dans ces lieux pour enlever le mal en eux.)
Chapitre 6 : Le pays de Picsou
CHAPITRE 6 Pièce de 5 lekë — 2016 — l’edoniste Étrangement, je me suis familiarisé à la multitude de choses qui heurtent les yeux en venant ici. D’abord, ce chaos identique qui règne dans les petites comme dans les grandes villes. La conduite musclée des Albanais a...
Notes
1. ↑ Aussi traduit par : « La religion de l’Albanais est l’Albanie. » En langue original : « Feja e shqiptarit është shqiptaria. »
2. ↑ Serge Métais, Histoire des Albanais : Des Illyriens à l’indépendance du Kosovo, Édition Fayard, 2006, p.238.
3. ↑ À cet effet, je vous invite à découvrir ici l’histoire de l’anneau de Gygès de Platon.
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